Berceau de l’une des plus nobles races de chevaux dans la foulée desquels l’équitation est devenue un véritable art au fil des siècles, l’Andalousie se devait de posséder son Académie d’art équestre. Ainsi, depuis 1972, des chevaux “dansent” dans le superbe manège de Jerez.
N’est-ce pas en Espagne que les grandes cours d’Europe se sont fournies en chevaux pour constituer ou améliorer leur propre race, lesquels ont servi de monture aux rois et empereurs ainsi qu’à leurs armées ? De cette même Espagne est aussi venue une équitation de combat dont les techniques et les mouvements ont inspiré les plus grands écuyers de tous les temps en quête d’une rigoureuse et efficace perfection esthétique dans les allures et déplacements de leur monture. La morphologie des chevaux ibériques, leurs allures et élégance naturelles les prédestinaient à la parade et au spectacle mais, plus encore, à l’équitation académique, un art au vrai sens du terme. Ainsi sont nées des écoles et académies équestres de par le monde, mais rares sont celles qui peuvent – comme à Jerez – faire référence à une tradition équestre qui puise ses sources dans la vie quotidienne et non pas seulement dans la transmission et l’application des règles de l’art.
La haute école sort des arènes
La notoriété des Domecq a depuis longtemps dépassé les frontières andalouses et espagnoles. Vignobles, chevaux et taureaux qui portent leur sceau comptent parmi les plus renommés. Au fil des générations, ils ont aussi marqué de leur empreinte le monde du rejoneo et de l’équitation académique. Il n’est donc pas surprenant qu’ils aient mis leur passion et leur talent au service de l’art équestre avec – en plus – le souci de préserver et promouvoir l’équitation traditionnelle andalouse.
En recevant la très honorable distinction du Caballo de Oro, Don Alvaro Domecq voulut rendre hommage au roi Juan Carlos. “Je voulais remercier le roi. Et le meilleur moyen pour cela fut de faire danser mes chevaux.” Ainsi naquit l’idée d’une école d’art équestre. Dans sa ferme Los Alburejos, aux abords de Jerez de la Frontera, Don Alvaro Domecq décida de créer, par ses propres moyens, une académie d’équitation. Il sélectionna rigoureusement sa cavalerie parmi les meilleurs chevaux de son élevage. Prenant conseil auprès de cavaliers célèbres, il n’hésita pas à envoyer ses écuyers construction du palais fut lancée ainsi que celle de ses écuries, manège et remises de voitures. Inauguré par l’époux de la reine Isabelle II en 1864, le domaine reçut le privilège de placer des chaînes – cadenas en espagnol- devant la grille d’entrée des jardins, octroi dont découla le nom de “Recreo de las Cadenas”.
En 1927, le duc d’Abrantes acquit le domaine aux enchères. Le ministère de l’Information et du Tourisme le lui racheta en 1975, lorsque Don Alvaro Domecq à Vienne afin de parfaire leur formation. Peu à peu, les représentations de l’école – encore privée – attirèrent l’attention du public, des professionnels et des instances officielles. La jeune école arriva aux portes de la renommée. Avec l’aide son fils Alvarito, Don Alvaro mènera son “conservatoire” de l’art équestre au rang des grandes académies européennes.
De Los Alburejos au Recreo de las Cadenas : un palais pour une école
C’est un Espagnol d’origine française du nom de Julian Penmartin Laborde qui fit construire, en 1860, le superbe palais baroque du Recreo de las Cadenas, propriété qui abrite aujourd’hui l’école andalouse. Sur un projet de Charles Garnier, architecte de l’Opéra de Paris, la souhaita y établir son école, dont le ministère prit ensuite en charge le fonctionnement. Sous la houlette de l’architecte Picardo, on construisit alors de nouveaux bâtiments dans le plus pur style andalou. Elégants et sobres, les murs blancs et jaunes qui laissent filtrer la lumière par de grands œils-de-bœuf tandis que d’innombrables superbes azulejos parent leur intérieur, renferment un superbe manège de 1600 places et des écuries pouvant abriter 60 chevaux, construites en étoile autour de la sellerie.
La province de Cadix confirmera l’acquisition de l’école en 1983 et Don Alvaro fils en sera nommé directeur technique. Dès lors se succéderont les représentations à Jerez et les tournées à l’étranger: France, Portugal, Amérique latine, Angleterre, Belgique, Hollande… Ambassadrice de son pays, l’Ecole participe aussi à la promotion touristique de l’Andalousie, mais sans jamais pour autant négliger sa vocation première : assu- rer la pérennité de la tradition andalouse dans son expression académique et vaquera, former de nouveaux écuyers à la haute école et contribuer à la sélection de chevaux adaptés à l’équitation académique.
Malgré les nombreuses turbulences économiques qui ont émaillé le parcours de l’école andalouse, les efforts et la persévérance des Domecq ont fini par être grandement récompensés: le 12 juin 1987, le roi d’Espagne accepta la présidence d’honneur de l’école à laquelle il conféra le titre de “royale”.
Le titre du spectacle de l’École Royale Andalouse d’Art Équestre en dit long sur la teneur de sa prestation, car c’est véritablement un ballet qu’exécutent chevaux et écuyers, dans une mise en scène qui rappelle à chaque instant les origines de l’art équestre et de l’équitation académique. Pour parfaire le tout, les écuyers revêtent le costume andalou du XVIIIe siècle : guêtres de cuir sur des bas blancs, gilet, chemise à jabot, boléro bleu à parements d’or, chapeau noir conique et foulard à pois qui retombe sur la nuque. Les chevaux sont sobrement harnachés d’une selle à la royale pour les reprises classiques et portent le harnachement andalou traditionnel lors des démonstrations de doma vaquera. A cette dernière discipline s’ajoute le folklore des belles Andalouses montées en croupe de chevaux joliment enrubannés, mais aux allures toujours académiques ! L’école s’est aussi dotée d’une section d’attelage après l’acquisition, au début des années 80, d’une collection de 19 voitures, dont certaines datent du XVIIIe siècle. Les remises veillent aujourd’hui sur plus de cinquante voitures et abritent une collection de harnais dont on dit quelle est la plus complète d’Espagne. Il suffit d’assister à une feria – à Jerez ou ailleurs en Andalousie – pour découvrir et comprendre la passion et l’engouement des Andalous pour les beaux équipages et l’art du manège.
Tradition, formation et quête de la perfection
Le soin apporté à la recherche constante de la perfection équestre des écuyers depuis des années est le même que celui qui fut dédié à la sélection des chevaux. De la cavalerie d’origine, exclusivement issue de l’élevage Domecq, l’école possède aujourd’hui une écurie certes toujours uniquement composée de sujets de Pure Race Espagnole et de Lusitaniens mais provenant de différents élevages, entre autres ceux de la Jefatura de Cria Caballar. Cette institution d’État lui fournit chaque année un choix de poulains que l’école se charge de dresser et éventuellement d’acquérir si les sujets présentent toutes les aptitudes et caractéristiques correspondant au travail qui leur sera demandé au sein de l’école.
Derrière le rideau du spectacle du Recreo de las Cadenas, c’est toute une organisation au service de l’équitation et du cheval qui a été mise en place. L’école possède sa propre clinique vétérinaire (qui soigne aussi des chevaux étrangers à l’école), un centre de formation de maréchaux-ferrants, selliers et bourreliers, une école d’attelage. Le recrutement des élèves est fait sur des critères de culture générale et d’aptitudes équestres: leur séjour est de deux ans pour les stagiaires, quatre pour les aspirants et six pour les titulaires.
En plus de son talent à briller dans les représentations équestres au sein de l’école, dans les visites guidées quotidiennes des lieux, les différents galas, dans la formation continue de ses chevaux et écuyers, les déplacements à l’étranger (deux tournées annuelles de trente jours), la Real Escuela Andaluza del Arte Ecuestre pourrait tirer sa devise de ces quelques vers, extraits des sizains royaux en l’honneur des chevaux danseurs d’Andalousie, qui furent composés pour elle par le grand poète espagnol Rafael Alberti : ram aes cnevaux canujanus.
Et rien de plus, chevaux qui dans Danserez pour mes seules pensées
Pour en savoir plus : Dans les coulisses de l’école royale andalouse