A l’interface entre l’homme et l’animal, le cheval a une place et un rôle intermédiaire. C’est un grand mammifère herbivore dont l’impact sur la surface agricole utile est loin d’être négligeable. Produit en milieu rural, il sera utilisé en grande partie en zones périurbaines, comme le montre l’implantation des centres équestres, des centres d’entraînement et des hippodromes. Il finira ensuite à la boucherie comme tout autre animal de rente. Sur le plan de sa fonction sociale, le cheval est le support d’un mythe de puissance. Dernier représentant des grands animaux à côtoyer l’homme des villes, il l’éduque dans un rapport avec la nature qui ne peut être dévié aussi facilement qu’avec les chiens. Cette aptitude du cheval à imposer ses quelques quintaux de muscles fait sans doute son succès actuel. Cette réintégration de la nature puissante dans le tissu urbain constitue la principale originalité de l’espèce et lui garantit probablement son avenir.
Cette obligation de ne pas évacuer la réalité animale qu’il impose, et avec laquelle il faut composer, n’em- pêche pas et semble au contraire favoriser l’incroyable support de mythes qu’il tend à constituer. Dans les courses où les propriétaires s’affrontent par chevaux interposés, les spectateurs tentent de s’approprier une part de la puissance et des richesses exposées par le moyen du jeu. Dans l’hippophagie, c’est le symbole de puissance sociale qui est consommé au moins autant que les 250 grammes de bifteck haché. Manger du cheval donne force et santé… Dans l’équitation, c’est le mythe du chevalier noble et valeureux qui est approprié. Dans les concours d’élevage, c’est la recherche d’une identité culturelle et sociale qui s’exprime. Nous le voyons donc, le cheval est un producteur de biens matériels (muscles, puissance, vitesse, aptitudes spéciales) mais, de façon au moins équivalente, de biens immatériels (prestige et capital social, équilibre naturel touchant aussi bien au physique qu’au psychique, satisfaction identitaire).
La filière équine en France
Ce sont indéniablement les chevaux de courses qui constituent le moteur financier du système par l’intermédiaire du jeu et du pari. Ils constituent aussi la raison inconsciente de la marginalisation de la filière équine dans l’agriculture. L’archétype du cheval de course est le Pur-Sang, mais il se décline selon des modèles plus socialisés comme l’A.Q.P.S. (autre que Pur-Sang) qui court en province ou en obstacles et le trotteur français accessible à chacun. Les races de chevaux de selle représentées par le Selle Français et 1’Anglo-Arabe sont orientées vers l’équitation de sport, dominée en France par la discipline du concours hippique (C.S.O.). Les 2 autres disciplines olympiques que sont le dressage (C.D.) et le concours complet (C.C.E.) ont beaucoup moins d’adeptes. En revanche, le développement régulier d’une équitation hédoniste utilisant des poneys et des chevaux autres que des chevaux de sport ne cesse de s’amplifier. Ce phénomène aboutit à l’essor de nouvelles disciplines de compétition dont les courses d’endurance sont le meilleur exemple.
Les chevaux de trait (8 races) oscillent entre nouveaux loisirs, conservation du patrimoine, gestion de l’espace et production de viande. Cette dernière est toutefois en forte régression en raison de la diminution régulière de la consommation de viande de cheval. Le souci génétique de cette filière très diversifiée paraît important en première approche. Toutefois, les réponses que peut lui apporter la recherche ne confortent pas toujours les a priori et les habitudes initiées par le milieu équestre dès le début du XIXe siècle. En fait, ce que demande la filière aux généticiens c’est qu’ils l’aident à produire :
- des animaux sains ;
- des animaux performants ;
- des estimateurs de cette qualité autorisant la caractérisation objective de l’offre et permettant ainsi de développer le marketing des animaux sur des marchés parfois très spéculatifs.
La demande est par ailleurs souvent individuelle et peu coopérative. Une stratégie d’ensemble fondée sur l’obtention d’un progrès génétique pour telle ou telle population de chevaux peut émaner du niveau national (rôle des Haras), plus difficilement du niveau régional, du fait de la faiblesse technique des structures professionnelles dominées par une grande part d’amateurisme et une forte compétition des véritables professionnels entre eux, ce qui ne prédispose pas à la coopération. Il y a là une différence sensible avec les autres productions animales pouvant être source de malentendus.
Le cheval et le travail des généticiens
Pour leur part, les généticiens sont engagés sur 2 axes : la génétique moléculaire et la génétique quantitative. Les travaux sur le cheval sont donc déclinés dans ces 2 directions, qui ont chacune des applications de grande ampleur.
La génétique moléculaire est utilisée pour le moment principalement pour répondre à des besoins d’identification et de contrôle de filiation. La génétique quantitative, quant à elle, est utilisée plus pour répondre à des besoins d’évaluation de la qualité (production des indices annuels et des B.L.U.P., Best Linear Unbiased Predictor) que pour l’obtention d’un progrès génétique qui n’est finalement qu’un sous-produit.
La demande de la filière en matière de génétique moléculaire ne peut, par manque de connaissances, être formulée autrement qu’en fonction des pratiques courantes d’identification (passage de l’hémotype habituel au polymorphisme de l’A.D.N., du prélèvement sanguin à celui des crins).
Néanmoins, chacun est bien convaincu de l’utilité de progresser dans la connaissance du génome équin pour pouvoir identifier des gènes intéressants pour l’élevage. Sans en attendre des résultats pratiques immédiats, il est souhaitable de conforter un pôle de compétences techniques sur le cheval suffisamment fort pour qu’il soit en mesure de faire bénéficier rapidement l’espèce des découvertes faites ailleurs (chez l’homme, la souris ou les autres espèces domestiques), où les moyens de recherche mobilisés sont beaucoup plus importants. Il faut pour cela établir des cartes génétiques de faible puis de moyenne densité, qui permettront de passer au stade de la cartographie comparée, facilitant ainsi les transferts de connaissances entre espèces et l’analyse génétique de caractères d’intérêt pour l’élevage, qu’ils soient de type factoriel (maladies génétiques, couleur de la robe, groupes sanguins) ou de type continu (Q.T.L., Quantitative Trait Loci).
En génétique quantitative, les recherches sont conduites depuis 1973. Très vite, il est apparu que la problématique de la sélection des chevaux tournait autour de deux axes : la sélection sur des critères de performance en compétition, qualifiés depuis de critères directs, et la sélection sur des critères indirects, c’est-à-dire liés à l’objectif.
En 1976 sortait la première publication des indices du saut d’obstacles (I.S.O.) et, la même année, les premières estimations des étalons sur descendance dans cette même discipline. La France était ainsi le premier pays à se doter d’outils d’évaluation statistique de ses chevaux de sport. L’I.S.O., ainsi peu à peu substitué aux gains pour évaluer les performances des chevaux de sport, fut de plus en plus utilisé dans la réglementation jusqu’à maintenant, où il s’est finalement imposé. À partir de 1980, une démarche similaire était engagée pour le Trotteur Français. En revanche, dès 1975 les premiers résultats concernant les courses de galop se heurtaient à des résistances feutrées des milieux concernés.
Les avancées réalisées dans ce secteur des indices de sélection sont :
- En 1986, la première mise en place en France d’une indexation de routine selon la méthode du B.F.U.P. en modèle animal, connue dans le public sous le sigle B.S.O. (B.F.U.P. saut obstacles) ou B.T.R. (B.F.U.P. trot). Ces mêmes outils existent depuis 1994 pour les courses au galop, mais leur diffusion n’est pas souhaitée. Les autres espèces domestiques (bovins, caprins, porcins) ont suivi par la suite.
- En 1990, la mise au point d’une méthodologie de traitement des classements en épreuves (voir encadrés 2 et 3). L’application de cette nouvelle technique ne permet malheureusement pas de s’affranchir totalement des gains. Elle nécessite des calculs lourds et a l’inconvénient, au niveau du développement, de rendre trop abstraite la mesure de la performance.
Sur le plan des critères indirects de sélection, il est apparu qu’il fallait dépasser le cadre de la conformation et aborder des problèmes biomécaniques et physiologiques, voire comportementaux, pour mieux cerner le déterminisme de la performance. Les progrès enregistrés dans ce domaine sont :
- L’amélioration pratique d’une méthode photométrique de caractérisation de la conformation.
- La mise au point d’un appareillage de terrain fondé sur des mesures accélérométriques qui permet de quantifier les paramètres locomoteurs et qui peut être mis en œuvre pour des tests de routine (Equimetrix). L’ensemble de ces sujets ne pourra pas être abordé ici. Aussi nous limiterons-nous à commenter les 3 étapes nécessaires au succès d’un plan d’amélioration génétique :
- La première est la définition d’un objectif clair de sélection désignant les caractères à améliorer, leur mesure et leur pondération dans l’objectif global.
- Les données doivent ensuite être analysées pour établir leur degré d’héritabilité (c’est-à-dire la façon plus ou moins grande qu’elles ont de se transmettre des parents aux descendants) et l’on doit procéder à l’estimation des valeurs génétiques des candidats à la sélection. Ces valeurs génétiques sont l’espérance de leur production, sachant les résultats déjà connus sur l’ensemble de leur parenté.
- Ces estimations doivent enfin être intégrées dans un plan général de sélection visant à obtenir le maximum de progrès génétique (la plus grande différence moyen- ne possible entre la génération des parents et celle de leurs descendants, dans le meilleur délai compatible avec la démographie de la population).
Objectifs et critères de sélection
La définition d’un objectif est facile à définir dans le cas des races de course : il s’agit alors de réussir dans un programme national ou international. Des subdivisions de l’objectif peuvent cependant être réalisées selon les distances de courses et l’âge où les succès sont attendus. Pour les races de sport, le problème est plus complexe. Tout d’abord, les chevaux sont utilisés dans des disciplines variées et, devant cette diversité, les éleveurs et leurs organisations ont tendance à opter pour un objectif moyen où ils pondèrent intuitivement les caractéristiques suivantes :
- la conformation et les allures ;
- l’aptitude au saut ;
- l’aptitude au dressage ;
- la classe de galop
qui sont elles-mêmes plus ou moins liées entre elles positivement ou négativement.
Ils répugneront, pour des raisons de marketing, à afficher un objectif bien précis même si en réalité ils sont contraints par la compétition à se spécialiser. Les concours d’élevage fondés sur l’examen par des experts de la conformation et des allures visent à une appréciation globale. Ils sont souvent critiqués en raison de leur grande subjectivité et du fait qu’il sera donné un poids trop important à des critères esthétiques par rapport à d’autres, peut-être plus utiles. De plus, l’esthétique véhicule une culture équestre ancienne qui tourne autour du Pur-Sang et perpétue inconsciemment des combats symboliques de la société du XIXe siècle où le Pur-Sang était assimilé à la noblesse, le demi-sang à la bourgeoisie et le cheval d’utilité au tiers état. Des tentatives furent néanmoins faites, surtout en Europe du Nord, pour rendre ces critères de jugement plus objectifs et pour les relier plus directement à certaines aptitudes. Il s’agit alors d’évaluer plus précisément les aptitudes des animaux. Le concours y perd en symbolique sociale mais y gagne en technicité. C’est ce qui a conduit à la mise au point de différents tests. Mais l’accroissement de complexité du système devaluation crée aussi de nouveaux problèmes. Les chevaux peuvent être à des niveaux très différents de préparation, rendant leur comparaison difficile. C’est pourquoi l’idée d’allonger la durée du test pour homogénéiser le niveau de préparation des chevaux fut peu à peu avancée en Allemagne pour aboutir au test dit “des 100 jours”.
Par ailleurs, quand l’état civil et l’identification des chevaux deviennent de plus en plus fiables, la gestion informatisée des résultats des compétitions sportives permet d’informer de mieux en mieux l’élevage de la réussite des chevaux dans leurs conditions habituelles d’utilisation. L’usage de cette information s’impose alors de plus en plus dans la conduite de la sélection. C’est ce qui prévaut en France.
L’évaluation génétique du cheval
L’évaluation génétique par les indices de sélection à partir des mesures collectées n’est pas fondamentalement différente chez les chevaux de ce qu’elle est chez les autres espèces. On y distingue deux dimensions :
- La première, historique, relate l’évolution des techniques, c’est-à-dire le passage de moyennes brutes par reproducteur à des estimations par régression, puis par généralisation, à l’ajustement de modèles mixtes (certains effets du modèle dits fixés étant estimés sans information a priori, d’autres dits effets aléatoires étant considérés comme appartenant a priori à une population de distribution connue). C’est ce qui a donné naissance au B.L.U.P. en modèle père d’abord, puis en modèle animal.
- La seconde dimension est celle des objectifs de sélection qui, s’ils sont simples, comme la réussite en épreuves, entraînent une évaluation sur un seul caractère et, s’ils sont complexes, contraignent à une évaluation multicaractères pour laquelle malheureusement, il faut l’avouer, on ne dispose pas toujours des moyens qu’elle suppose.
Dans ce domaine, la France, qui, depuis 1976 publie les estimations des valeurs génétiques de ses reproducteurs pour le concours de saut d’obstacles, apparaît comme le pays leader. Elle a en effet intégré ces estimations dans la réglementation de l’élevage et en assure la diffusion par des moyens télématiques puissants (Minitel – 3615 HARASIRE).
Cette technique d’indexation, le B.L.U.P. en modèle animal, tend à devenir un standard pour l’évaluation génétique des chevaux dans beaucoup de pays. Elle présente en effet bien des avantages : évaluation des individus sans performances, prise en compte de la sélection et des croisements raisonnés et corrections optimales pour les effets de l’âge, de l’année et du sexe. L’effet maternel est aussi pris en considération. De plus, l’utilisation de toutes les relations de parenté augmente la quantité d’informations disponibles par le pedigree et permet des estimations plus précises, en particulier des jeunes animaux sans performances propres. On optimise ainsi grandement l’usage de l’information disponible. Seule sa mise en œuvre dans le domaine du Pur-Sang se heurte à certains intérêts spéculatifs qui en interdisent le développement.
Optimisation des plans de sélection
On connaît les politiques optimales de sélection lorsque des animaux d’âge différent sont rivaux. Il faut sélectionner les meilleurs animaux sur l’ensemble des groupes d’âge et donc retenir les meilleurs B.L.U.P., quels que soient leur âge et leur précision. Toutefois, les plans de sélection chez les chevaux ne devraient pas se limiter à calculer des valeurs génétiques avec un modèle animal.
En effet, le progrès génétique est proportionnel à l’intensité de sélection, qui détermine la supériorité des animaux sélectionnés, ainsi qu’à la précision des estimations de leurs valeurs génétiques. Il est aussi inversement proportionnel à l’intervalle de génération dans l’espace d’une année. Les programmes d’amélioration génétique doivent donc viser à augmenter la précision moyenne des estimations dans le minimum de temps possible. C’est ainsi qu’il apparaît que les possibilités d’un progrès génétique annuel important sont limitées par la longueur de l’intervalle de génération, qui se situe en moyenne entre 10 et 12 ans du fait d’une mise à la reproduction souvent tardive (3-4 ans et plus), mais surtout d’une durée de vie reproductive très longue (>10 ans). Par ailleurs, le nombre de descendants par parent limite les taux de sélection applicables qui, dans les conditions actuelles, peuvent toutefois être situés au minimum à 5 % chez les mâles et 50 % chez les femelles. Lorsque l’ensemble des animaux est contrôlé, comme c’est le cas en particulier des chevaux de course, cela peut conduire à d’importantes intensités de sélection qui compensent en partie le handicap de l’intervalle de génération.
Il ressort de toutes les études conduites sur ce sujet que, pour que la sélection soit efficace, il faut avant tout qu’elle mette en œuvre un contrôle des performances. L’utilité du contrôle de la descendance n’apparaît que lorsqu’il peut être réalisé rapidement. Cela implique le plus souvent l’utilisation de l’insémination artificielle, ce qui entraîne par ailleurs certaines réticences. C’est donc le contrôle de performances qui prévaut largement dans la sélection des chevaux.
Perspective de la génétique chez le cheval
Depuis les années 1970, les études sur la sélection des chevaux ont conduit à bien des développements et sont souvent en mesure d’apporter un soutien efficace à la production. Toutefois, la forte implication sociologique de cet élevage, sa résonance culturelle, son économie spéculative, qui procède de la société dite des loisirs, font que les modèles établis pour d’autres espèces domestiques doivent être profondément transposés pour être appliqués aux chevaux. De la découverte de ces angles d’approche dépend en grande partie la modernisation des structures de sélection qui, restent dans l’ensemble viscéralement attachées à la tradition. Souhaitons que cet attachement ne se révèle plus comme un facteur d’immobilisme et de blocage, mais au contraire s’appuyant sur le ferment que représente cet héritage culturel, il permette des développements modernes originaux pouvant servir de modèle pour l’ensemble des productions animales. À l’aube du XXIe siècle, l’interface entre l’homme et l’animal semble se dessiner d’une manière nouvelle.
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