Tandis que le cheval était en voie de domestication aux confins de l’Europe et de l’Asie, de grandes civilisations agraires et urbaines connaissant le cuivre s’établissaient plus au sud en Mésopotamie et en Elam : El Obeid (VIeet Ve millénaires av. J.-C.), Sumer et Uruk (IVe et IIIe millénaires). Vers 3200 av. J.-C., les logogrammes sur tablettes d’argile d’Uruk montrent des chariots à roues pleines attelés avec des bœufs ou des ânes. Nous avons déjà traité de la question de l’apparition du cheval en Europe, mais comment le cheval est-il apparu au Proche Orient, au Moyen Orient et en Extrême orient ?
Les premiers pas de la pratique du cheval en Orient
Les équidés mis au jour à Çayônü (VIe millénaire) n’étaient pas des chevaux, mais de petits hémippes. Cependant, Boessneck et von den Driesch trouvent à Norsun-tepe (Elazig, Taurus oriental) des chevaux sauvages de l’époque chalcoli- thique, sur des critères de robustesse des os et d’absence d’ossements de chevaux sur le même site dans les couches plus récentes du bronze ancien. Ces chevaux sauvages furent éliminés de “l1 Altinova” sur le haut- Euphrate lorsque les habitants, immigrés ou indigènes, introduisirent le cheval domestique : dès la deuxième moitié du IVe millénaire, plusieurs sites chalcolithiques turcs de cette région, dont Arslantepe (Malatya) ont livré des restes de chevaux “domestiques”.
L’augmentation du commerce dans une civilisation où les secteurs secondaire et tertiaire étaient en plein essor, la mise à disposition du chariot, rendirent plus nécessaire encore l’utilisation des animaux domestiques pour le transport des récoltes et des autres marchandises. On utilisa plus intensément les bovins et les ânes : les tombeaux royaux d’Ur I (2600 à 2400 av. J.-C.) renfermaient des chars tirés par des bœufs et par des ânes et l’Etendard d’Ur (2450 av. J.-C.) montre des chariots tirés par des ânes.
Ce n’est que dans la deuxième moitié du IIIe millénaire, soit un bon millénaire après leur domestication, qu’on fit aussi venir des chevaux, que ce soit d’Anatolie ou du Caucase où la Culture de Maïkop connaissait l’animal domestique: les termes anse.kur.ra et anse.sf.si, qui désigneraient le cheval et qui pourraient se traduire respectivement par “âne de la montagne” et “âne de l’étranger”, apparaissent dans les textes éla- mites et mésopotamiens de cette époque (documents économiques d’Ur III). La “montagne” peut signifier l’origine caucasienne de l’animal et “l’étranger” pouvait être hourrite (Taurus oriental), kassite (Zagros) ou hittite (Anatolie). Certaines régions d’importation étaient même déjà réputées, comme Harsamna, en Turquie ou la vallée du Khabur, en Syrie du Nord. Une terre-cuite de Kish (période akkadienne : fin du IIIe millénaire) montre un cavalier, montant son cheval à cru et en croupe, comme s’il s’agissait d’un âne. Au XVIIIe siècle av. J.-C. encore, si le cheval, peu à peu acclimaté, était élevé sur place, il n’était pas vraiment entré dans les mœurs : il n’était pas de bon ton qu’un roi montât à cheval, comme on peut le lire sur une lettre du gouverneur Bahdi-Lim au roi de Mari, Zimri- Lim (1775-1760) : le roi devait monter à dos d’âne ou sur un char tiré par des “mulets”.
Les chevaux n’ont pas été attelés à des chariots comme les bœufs et les ânes — ces chariots n’ont probablement pas été adaptés aussitôt au cheval, mais à des chars à roues rayonnées que les Kassites auraient introduits dès le XVIIIe siècle av. J.-C. Les chevaux furent affectés à la “messagerie”, à la “guerre” et à la “chasse”. Dès lors, ils furent identifiés par leurs origines et leur signalement — robe, particularités – tout comme aujourd’hui et ils furent entourés des plus grands soins. Les Hourrites ont communiqué leur tradition hippo- logique à leurs conquérants hittites: les premiers textes sur le cheval, qui datent des XIVe et XIIIe siècles av. J.-C., sont le Traité hippologique du Mitannien Kikkuli, trouvé dans la capitale hittite, Hattousa (Bogazkôy) et les Textes hippiatriques cananéens d’Ougarit (Ras Shamra). L’utilisation des chevaux dépendait aussi de leur origine géographique : parmi les chevaux de“joug” (i.e. d’attelage), on avait le choix entre les chevaux du pays de Kusu, originaires d’Egypte, les chevaux du pays de Mesu, originaires d’Iran, et les chevaux des haras locaux. Xénophon distinguait les petits chevaux d’Urartu (Arménie), plus ardents que ceux de Perse, et Hérodote évoque la grande race mède qu’on appelle niséenne, où l’armée de Xerxès prenait ses chevaux sacrés, et les chevaux d’Inde, plus petits. Les chevaux hittites, relativement fins, ne dépassaient pas 140 cm au garrot. Selon les documents disponibles, le cheval de guerre ne sera monté que vers la fin du IIe millénaire: les figurations de guerriers à cheval ne précèdent pas le règne de Sargon II d’Assyrie (t 704).
Le cheval en Egypte
En Égypte, on admet que le cheval est arrivé, tout harnaché et attelé pour la guerre, avec l’invasion des Hyksos au XVIIIe siècle av. J.-C., à la fin de la deuxième période intermédiaire. Dès le Moyen Empire, la réputation (guerrière ?) du cheval avait certainement précédé l’animal physique, mais sa nouveauté s’exprime d’une manière négative dans le fait qu’il ne figure pas au panthéon égyptien et qu’aucun cheval n’a été retrouvé momifié, à la différence des animaux divinisés (chat, crocodile, babouin, ibis…).
Le plus ancien cheval découvert en Égypte a été mis au jour sur le site nubien de Bouhen par Emery en 1958 et 1959 et étudié par Clutton-Brock (1974). Daté d’environ 1675 av. J.-C., il appartient à la période immédiatement postérieure à celle des Hyksos. C’était un assez grand cheval aux membres fins. Les rares chevaux d’époques plus récentes appartiennent à un type plus ramassé. Contrairement aux ânes et aux mulets, le cheval n’est jamais représenté en train de tirer des chariots, mais, toujours, soit monté — parfois en croupe (tombe d’Aremheb, XIXe dynastie) – soit attelé à un char de combat. Certains attribuent cet emploi exclusif à l’insuffisance technique des attelages, qui ne permettaient pas de mettre à profit la puissance du cheval : c’est possible, mais l’association du cheval à la guerre et à la victoire a très bien pu remiser toute idée de l’utiliser à d’autres fins, lorsqu’on disposait déjà, pour celles-ci, du bœuf, de l’âne et, bientôt, du mulet…
Le cheval en Extrême-Orient
La culture de Serednij Stog laissa la place à la culture Jamnaja ou culture des Tombes à fosses (3500-2400 av. J.-C.) qui s’étendit aux steppes d’Asie centrale jusqu’en Sibérie méridionale. La culture Afanasjevo lui succéda (2500-1700 av. J.-C.) dans l’Altaï, sur le haut Iénisseï: on y a découvert des tombes à fosses et à tumulus (kourganes) où les chevaux sont à contribution. Au sud immédiat et à la même époque, dans le Turkestan oriental, des Indo-Européens se faisaient inhumer de la même manière. Les chars à roues rayonnées sont apparus en Asie centrale entre 1500 et 2000 ans av. J.-C., témoignant d’un niveau technologique et zootechnique élevé et de l’harmonie entre les hommes et les grands espaces : c’était le début de “l’empire des Steppes”. Le cheval domestique aurait été introduit en Chine vers la fin du IIIe millénaire par la culture de Longshan, à la faveur de contacts avec les peuples nomades des steppes précités. La dynastie Shang aurait importé les chars vers 1300 av. J.-C. ou peu après. Ceux- ci “jouèrent le même rôle qu’en Asie centrale, y compris celui d’accessoire funéraire. Ils furent utilisés, avec quelques modifications structurelles, pendant plus d’un millénaire et leur importance s’accrut en raison de leur emploi grandis- sant comme outils de guerre”. Tout cela se retrouve, magnifié, dans la puissante armée de terre du premier empereur Qin Shi Huangdi (221-210 avant J.-C.), enfouie à Xian (Shaanxi). Dès le IIe siècle av. J.-C., sous l’impulsion de l’empereur Han Wudi, les Chinois se sont approvisionnés en chevaux dans le Ferghana, le pays des “chevaux ailés célestes” que l’ambassadeur Zhang Qian avait reconnu dans sa mission d’exploration de 138-126 av. J.-C. Cette région est celle de Tachkent, c’est une haute vallée commune à l’Ouzbékistan et au Kirghizstan. L’Altaï, qui la limite au nord, est célèbre aussi pour les kourganes Scytho- Sarmates quasi-contemporains de Chibé, Karakol, Kizil et surtout Pazryk; les chevaux y faisaient de 128 à 159 cm au garrot.
C’est peut-être à l’occasion de ces échanges que les Chinois, tandis qu’ils ouvraient la “Route de la soie” et exportaient vers Rome, via la Perse, le précieux textile et le canard mandarin, empruntèrent (aux Kouchans?) le concept des étriers, qui ne seront revenus en Europe qu’à la fin de l’Antiquité. Le collier est mis au point en Chine, à cette époque.
Remarquons la référence au mythe quasi-universel du cheval ailé : son origine en Orient peut être recherchée dans la civilisation des steppes, où le chamanisme utilisait l’animal comme moyen de communication avec le surnaturel.
Pour en savoir plus : Le cheval oriental