Le cheval et l’âne sont les fruits d’une longue évolution qui s’est étendue sur toute l’ère tertiaire et quaternaire, depuis 60 millions d’années. L’image de l’homme à cheval paraît si banale, qu’on n’imagine pas qu’elle soit aussi récente, quatre ou cinq millénaires à peine, dans l’histoire pourtant déjà longue des rapports entre l’homme et l’animal. Quand sont nés les chevaux ? Dans quels pays ont-ils vu le jour et comment se sont-ils propagés progressivement à travers l’histoire ? Comment les ancêtres du cheval se sont-ils transformés en l’animal que l’on connait aujourd’hui ? Nous allons revenir dans cet article sur l’histoire du cheval, l’évolution des équidés, afin de vous proposer un voyage à travers le temps avec l’animal ayant toujours inspirés les hommes.
Le cheval comme compagnon mythique de l’homme
La “relation fusionnelle” entre le cheval et l’homme, quelques centaines d’années seulement après qu’il eut été domestiqué, est poussée à l’extrême dans les mythes ambivalents des Centaures, des Amazones et de Pégase, le cheval ailé, et Bellérophon, son cavalier inspiré. Le mythe des Centaures aurait son origine dans les incursions de cavaliers barbares qui se seraient installés en Thés salie et y auraient été combattus par les Lapithes, dont ils voulaient prendre les femmes. Quant aux Amazones, elles auraient été inspirées par les Sarmates. Chez les “peuples cavaliers” pontiques de l’âge du bronze et du fer (Cimmériens, Scythes, Sarmates…), l’étroite communion de l’homme et du cheval transparaît dans la mort, lorsque des défunts héroïsés ont été inhumés avec leurs montures ou leurs chars, et cela dans les parages même où leurs prédécesseurs ou ancêtres avaient domestiqué les chevaux.
Le cheval psychopompe, accompagnateur des âmes des défunts, s’est diffusé de l’Ibérie (Vallfogona de Balaguer) à la Sibérie altaïque (Pazryk) et à la Chine des Shang (Anyang). Il n’y a que deux espèces animales qui aient eu à ce point partie liée et destin commun avec l’homme : le cheval et le chien.
Les ancêtres des équidés
L’Hyracotherium européen et son alter ego l’Eohippus américain vivaient, au début de l’ère tertiaire, dans des milieux arbustifs ou forestiers. Ils sont à l’origine d’une descendance abondante, dans laquelle figurent les ancêtres du cheval.
Ceux-ci eurent donc des collatéraux nombreux, dont les lignées, après s’être maintenues plus ou moins longtemps, ont fini par s’éteindre. Ignorant ce fait, les premiers auteurs placèrent sur une même ligne ascendante les “ancêtres” connus du cheval. Cette vision est à l’origine de la notion d’orthogenèse, aujourd’hui dépassée, et qui a été aussi appliquée à la lignée humaine. En fait, dans les deux cas, la “radiation évolutive” a été intense et de nombreux rameaux auraient pu se perpétuer jusqu’à l’époque actuelle, comme c’est le cas dans d’autres groupes zoologiques (bovidés, rongeurs…) qui comportent une floraison d’espèces voisines et pourtant différentes. Il faut donc opposer le concept de radiation évolutive à celui d’orthogenèse : l’homme ne descend pas du singe, mais d’un singe parmi de nombreux autres.
Les promoteurs de la famille des équidés, Hyracothe- rium de l’éocène (55 à 50 M.A. av. J.-C.), Miohippus de l’oligocène (27 M.A. av. J.-C.) étaient de la taille d’un chat à celle d’un renard pour le premier, de celle d’un chevreuil pour le deuxième. C’étaient des animaux relativement peu spécialisés, brouteurs de feuilles, à dents tuberculeuses (bunodontes) et à couronne basse (hrachyodontes) et leurs membres quasi digitigrades, en appui sur leurs coussinets comme les tapirs actuels, possédaient 4 doigts à la main et 3 au pied. Suivant l’une des lois de l’évolution, le format des animaux avait tendance à augmenter. Dans un environnement d’herbes, de buissons et d’arbustes, il fallait, pour échapper aux prédateurs, soit rester au ras du sol et se cacher, soit s’en libérer carrément, les voir arriver de loin et s’enfuir plus facilement. Les effets conjugués de la variation biologique et de la sélection naturelle validèrent la deuxième solution : grandissant au-dessus du couvert végétal, les équidés se sont mis à vivre en groupes hiérarchisés; pendant que les uns paissaient, le nez dans l’herbe, les autres surveillaient les alentours, afin de détecter toute approche par un prédateur.
L’évolution de l’anatomie du cheval
Leur appareil dentaire s’est spécialisé dans une alimentation exclusivement herbacée, acquise au début du miocène (20 à 17 M.A. av. J.-C.), chez Merychippus et Anchitherium, animaux dits paisseurs. Les dents ont compensé l’abrasion due à ces végétaux ligneux et siliceux par la croissance prolongée de leur couronne, devenue très haute (hypsodontie). En réponse au régime alimentaire qui nécessite de véritables râpes et la formation de crêtes d’émail (dents lophodontes) et en rapport avec l’augmentation du volume de l’animal, la table d’usure des dents s’est compliquée (plexodontie). Sur les plans fonctionnel et morphologique, les prémolaires se sont rapprochées des molaires (homodon- tie) : “la molarisation des prémolaires” augmentait les surfaces triturantes préposées au mâchage des végétaux. Ces rangées dentaires encombrantes et lourdes d’une part, la fonction de mastication absorbante et obstinée, d’autre part, ont fait que l’extrémité faciale des équidés s’est allongée progressivement. Parallèlement, les membres se sont déliés, dégageant le corps de l’emmêlement des herbes et des broussailles. Dans la deuxième moitié du miocène (12 M.A. av. J.-C.), on reconnaît la tribu des Hipparionini, animaux de la taille de poneys, qui possèdent encore trois doigts; la tribu des Equini, dont le nombre des doigts de chaque membre s’est réduit à l’unité, apparaît au pliocène (vers 4,5 M.A. av. J.-C.). L’organisation de l’appareil locomoteur et celle des systèmes neuromusculaires se sont adaptées tout à la fois au soutien d’une masse corporelle importante, au “qui-vive” et à la course sur terrain dégagé, le cheval étant fondamentalement un animal marcheur et coureur, plutôt qu’un sauteur. De nombreux mécanismes étonnants se sont développés, les uns liés au statut de proie de l’espèce, toujours prête à s’enfuir, comme le blocage statique des membres (le cheval dort debout, et d’un œil) et la solidarisation de leurs mouvements articulaires (économie de moyens dans le cadre de la réduction des muscles autour du doigt unique et de l’accroissement de l’efficacité de l’effort musculaire), les autres liés à “l’onguligradie”, comme le mécanisme du “pied à ressort”. Au-delà de l’appareil locomoteur, toute l’anatomie et la physiologie du cheval en font un système parfaitement intégré à son mode et à son milieu de vie.
L’évolution géographique du cheval
Il y a environ 2,5 M.A., les “hipparions” s’éteignent en Eurasie et les “équins” restent seuls sur le terrain. Le genre Equus, qui a fait son entrée en Amérique (vers 3,7 M.A. av. J.-C.) avec Equus simplicidens, apparaît en Eurasie, en même temps que le mammouth, au début du pliocène supérieur (2,5 M.A. av. J.-C.), avec Equus livenzovensis, puis E. vireti (2,2 à 2,1 M.A. av. J.-C.) et E. stenonis (au Pléistocène inférieur, 1,6 M.A. av. J.-C., Val d’Amo, Toscane). Le genre explose littéralement dans une quantité d’espèces filles, c’est ainsi qu’on a pu reconnaître jusqu’à 25 à 30 espèces, plus que dans tout autre genre de la famille des équidés. Les lignées de “chevaux sténoniens” (E. robustus, E.stehlini, E. altidens, E. bressanus, E. süssenbornis…) se terminent avec Equus hydruntinus, qu’ont connu les Magdaléniens. Le zèbre de Grévy actuel serait un ultime descendant de la lignée sténonienne. Les “chevaux caballins”, issus d’E. simplicidens, apparaissent il y a moins d’l M.A. en Amérique (E. scotti), ils passent en Eurasie il y a environ 500000 ans.
Les équidés aujourd’hui : les chevaux récents et actuels
Au pléistocène, l’aire de distribution des équins s’était généralisée à toute étendue herbeuse, chaude ou froide (savane, pampa, steppe, toundra). Le cheval était présent dans l’ensemble du Nouveau Monde, jusqu’en Patagonie (grotte de Fell, 9000 ans av. J.-C., grotte de Palli-Aike, 7000 ans av. J.-C.); il en a ensuite totalement disparu, pour des raisons inconnues.
Au début du pléistocène moyen (700000 ans av. J.-C.), dans le groupe des “chevaux caballins”, Equus mosbûchensis atteignait près de 160 cm au garrot. En réponse au refroidissement du climat pendant les glaciations de Mindel et de Riss (650000 à 120000 ans av. J.-C.), il semble que la taille des formes qui se sont succédé ait diminué, d’E. steinheimensis à E. chosaricus (le cheval de Toungouse) et à E. taubachensis (le cheval de Weimar) de l’interglaciaire Riss-Würm (éémien).
Au début du Pléistocène supérieur (éémien), E. achen- heimensis évoque encore E. mosbachensis. Puis, à l’époque de la dernière glaciation (Würmien), le cheval de Remagen, Equus germanicus, ne mesure plus que 141 à 150 cm au garrot; on pense que les hommes de Néandertal ont connu ce cheval, au paléolithique moyen. Il laisse la place (vers 30000 ans av. J.-C.) au cheval de Solutré (Equus gallicus), qui ne mesurait plus que 130 à 145 cm au garrot, ainsi que ses contemporains plus orientaux (Equus férus), à l’origine des chevaux actuels. Vers 15000 av. J.-C. apparaît E. arcelini, le “petit cheval magdalénien”. Les hommes de Cro-Magnon ont figuré le cheval de Solutré et le cheval magdalénien sur les parois des grottes ornées, sous des formes diversifiées par la géographie, le milieu naturel, la diachronie ou le style artistique (Chauvet, Lascaux, Niaux, Le Portel, Ekaïn…). Il est intéressant d’observer que, tandis que la taille de chevaux décroît, celle des dents ou des crêtes d’émail de leur couronne reste stable ou augmente : l’un traduit le refroidisse- ment du climat, l’autre un aliment végétal plus coriace, xérophytique.
Vers la fin du pléistocène (60000 à 10000 ans av. J.-C.), les chevaux peuplaient les steppes de l’Eurasie, de l’océan Atlantique (Portugal) à l’océan Arctique (île de Kolteny) et à l’océan Pacifique (Vladivostok), entre 35.38e à 40e et 50 à 52.75e parallèles nord, avec une incursion en Afrique du Nord et dans les deux Amériques.
A l’holocène, il s’est considérablement raréfié à l’ouest du continent européen. Les données paléontologiques et archéozoologiques montrent une diminution générale du format des chevaux entre l’Est européen et la péninsule Ibérique. Le cheval sauvage oriental, ancêtre du Tarpan et du cheval de Przewalski, a retrouvé une taille située autour de 140 cm au garrot, tandis que les rejetons du cheval de Solutré ne dépassaient pas 134 cm, voire moins au Pays basque.
Pour en savoir plus : l’évolution des équidés