A défaut d’avoir assisté aux courses dans leur cadre naturel, un hippodrome, tout un chacun a certainement eu l’occasion de voir sur un écran de télévision des chevaux luttant pour la victoire. Pour le propriétaire du cheval, il s’agit de gagner le défi lancé au concurrent. Pour le cavalier, il lui faut déployer son talent. Avec le cheval, c’est le moyen de déceler le meilleur destiné à la reproduction afin de transmettre ses qualités à ses descendants, utilisés pendant des siècles comme moyen de transport et outils pour la guerre. Les courses ont donc une triple fonction, ludique, sportive et économique,
C’est loin d’être nouveau en France. Des hommes se défient publiquement, par cheval interposé, depuis que le 9 mars 1775, la reine Marie-Antoinette et des membres de la cour assistèrent à une rencontre entre deux chevaux en lisière du bois de Boulogne sur la plaine des Sablons. Ce faisant, la France suivait l’exemple de l’Angleterre où les courses se propagèrent sous le règne de Charles Ier qui, dès 1634, offrit des coupes (cups) aux vainqueurs. Mais outre-Manche, jeu et sport sont privilégiés. “Maîtres incontestés des mers qui gardent leurs frontières naturelles, les Anglais n’auront besoin d’une cavalerie d’élite que pour conserver les vastes territoires qu’ils ont conquis à l’Est.” Il en va différemment en France : “Toute l’histoire du cheval passe par celle de la cavalerie, de ses besoins, de ses exigences.”
En Grande-Bretagne, l’enracinement des courses s’effectua au milieu du XVIIIe siècle et l’écho des prouesses réalisées par un cheval mythique, l’invincible Eclipse (18 victoires en 1769 et 1770) franchit la Manche au point de décider le frère cadet de Louis XVI, le jeune comte d’Artois, son cousin le duc de Chartres et quelques compagnons à importer d’Angleterre des chevaux qui s’affronteront aux Sablons, dans le parc du château de Vincennes ou près de Fontainebleau. L’aiguillon de ces courses est le jeu. L’extravagance des paris entre les courtisans déplaît au roi. Cependant Louis XVI reconnaît l’intérêt économique de la compétition et accepte d’offrir des prix destinés aux juments victorieuses dans des courses dont le règlement est signé par son ministre Bertin en 1780. Sur leurs terres, quelques seigneurs entreprennent alors de faire naître des chevaux, dignes par leur identité et leurs performances, de porter le titre de “pur-sang” comme le thoroughbred d’outre-Manche.
Les courses de chevaux en France
La Révolution fait avorter cette tentative d’introduction des courses de chevaux en France. Qui pis est, la Constituante, par décret du 29 janvier 1790, vote l’abolition du “régime prohibitif des haras”, ferme les dépôts d’étalons (une quinzaine à l’époque), vend les effectifs à vil prix et disperse le personnel.
Le flambeau passe à Napoléon Ier qui doit reconstituer l’élevage hippique national afin de pourvoir aux lourdes exigences de l’armée. Si l’Empereur est anglo- phobe, il reconnaît que la compétition engendre le progrès et que les courses ont permis la floraison du cheval anglais. Ainsi, il va être le véritable fondateur des courses en France. Par différents décrets et règle- ments (le premier date de 1805), il rétablit des haras d’Etat, des dépôts d’étalons et institue des courses, réservées aux chevaux nés et élevés en France, dans certains départements. Les lauréats se rencontreront à l’automne à Paris sur le Champ-de-Mars pour disputer un “Grand Prix”. Le règlement est rationnel et complet mais sans être un échec, ces courses n’auront que peu d’écho. Les acteurs sont rares car les éleveurs sont insuffisamment motivés à produire et l’esprit de compétition qui règne outre-Manche, grâce au jeu et aux paris, est absent.
C’est dans l’indifférence presque générale que les courses administratives reprennent en 1819, sous la Restauration qui relaie l’œuvre napoléonienne. Cependant on constate parallèlement la tenue de compétitions sous la forme de paris particuliers principalement au bois de Boulogne. Les raisons de tels défis ? La paix revenue avec l’Angleterre, celle-ci inspire chez nous la pratique d’une équitation sportive et le désir de jeu solidement ancrés outre-Manche. Et quelques nouveaux éleveurs s’intéressent à la production du cheval de courses, tels, aux portes de Versailles, Nicolas-Joseph Rieussec à Bue et Lord Seymour à Glatigny. Le bon exemple leur est donné par le roi Louis XVIII en personne qui, pour créer un haras, affecte quelques arpents de terre situés au pied du château de Meudon au duc de Guiche. Celui-ci, de retour d’exil en Angleterre, affirme “la nécessité de recourir au cheval de pur- sang pour améliorer la race de nos chevaux légers”. Transmis à son frère Charles X (l’ancien comte d’Artois), le haras de Meudon trouve en 1830 un nouveau possesseur avec le roi Louis-Philippe qui en fait don à son fils aîné le duc d’Orléans. C’est sous les couleurs de celui-ci que les élèves de Meudon vont connaître leur plus belle victoire en 1839.
Les courses de chevaux au XIXème siècle
En effet, c’est sous la Monarchie de Juillet que l’élevage du pur-sang et les courses reçoivent le baptême en France. Un lien les unit en 1833. Au coursier est accordé un titre de noblesse mais accompagné du devoir de le justifier sur l’hippodrome. Ainsi le 3 mars 1833, Louis-Philippe signe une ordonnance prescrivant l’établissement d’un registre matricule pour l’inscription des chevaux de race pure nés en France ou importés. C’est le “stud-book français” inspiré du britannique.
Et par la grâce de 12 amis réunis le 11 novembre 1833, est fondée la “Société d’encouragement pour l’amélioration des races de chevaux en France”. Ces jeunes s’affirment être “frappés de la décadence de plus en plus croissante des races chevalines en France et jaloux de contribuer, en les relevant, à créer dans ce beau pays un nouvel élément de richesse. […] Il y a bien de la difficulté à déraciner en France certains préjugés, puisque nous sommes malheureusement forcés de reconnaître que toutes les vieilles préventions contre les procédés employés en Angleterre, et en particulier contre les courses de chevaux, ne sont pas encore évanouies”. Ils bénéficient du soutien de deux membres honoraires, les ducs d’Orléans et de Nemours, fils de Louis-Philippe. Ils choisissent pour président Lord Henry Seymour, un riche Anglais résidant en France, passionné de sport et particulièrement de chevaux.
La Société d’encouragement se met immédiatement à l’œuvre. Elle publie un règlement et rassemble auprès de souscripteurs les fonds nécessaires pour organiser des courses. Les premières ont lieu à Paris, sur le terrain du Champ-de-Mars, le 4 mai 1834. Mais nouveauté, c’est à Chantilly que le 15 mai, les coursiers s’affrontent. La pelouse, encadrée par la forêt et les grandes écuries du château, offre un sol remarquable. Les princes résidant au château apportent leur soutien. Dès juin, commentaire du Journal des Haras, organe du monde hippique: “Nous avons applaudi franchement au projet d’une association ayant pour but l’amélioration des races chevalines de la France. Comme elle, nous croyons que le cheval de pur-sang possède seul la puissance régénératrice et conservatrice des races ; comme elle, nous désirons donc que le pur-sang soit employé exclusivement à cette régénération si désirée et si vainement cherchée à tâtons jusqu’ici en France”.
Et peu après, le même organe publie le point de vue d’un éleveur anonyme: “La beauté est hypothétique, la bonté ne l’est pas ! L’appréciation de l’une est arbitraire, l’épreuve est la mesure de l’autre. En un mot sur l’hippodrome on n’obtient pas justice… on se la fait. On ne sollicite pas son rang… on le prend! Point de prix si l’on ne se place pas en premier !” Profitant des observations recueillies en Angleterre depuis trois cents ans, la Société d’encouragement prend pour modèle le Jockey Club de Newmarket né en 1752 et qui régit les courses outre-Manche. Son code est copié et le nom de Jockey Club est donné au prix que la Société crée à Chantilly en 1836 à l’image du Derby (disputé à Epsom depuis 1780), test suprême pour la sélection du pur-sang. De plus, le cercle que la Société ouvre en 1834 sera bientôt communément appelé Jockey Club.
Le premier Prix du Jockey Club disputé le 24 avril 1836 réunit 5 partants. Son vainqueur est Frank élevé à Glatigny. Il porte les couleurs (casaque orange, toque noire) de Lord Seymour qui s’adjugera l’épreuve encore les deux années suivantes et une quatrième fois en 1841. En 1839 la victoire est pour Romulus, un élève de Meudon portant les couleurs (casaque écarlate, toque gros bleu) du duc d’Orléans. En 1840, premier succès normand avec Tontine, élevée au haras de Victot, sous les couleurs (casaque blanche, toque verte) d’Eugène Aumont.
Avec le duc d’Orléans décédé accidentellement en juillet 1842, disparaît un ardent supporteur des courses. Certes, les réunions de Chantilly perdent le prestige que leur apportaient les jeunes fils de Louis-Philippe, mais la qualité de son terrain est telle que Chantilly constitue le meilleur outil pour la sélection. Ainsi, à l’intention des pouliches de 3 ans, y est créé en 1843 le Prix de Diane. Son héroïne est Nativa portant la casaque rouge du prince Marc de Beauveau. Elle a pour entraîneur et pour jockey respectivement Henry et Tom Jennings, deux jeunes frères venus d’Angleterre comme la quasi-totalité du personnel des écuries à cette époque.
La mission que se fixe la Société d’encouragement est rude, mais grande est la détermination de ses fondateurs. Le maintien du cap sera le souci permanent de leurs successeurs qui siégeront au comité selon le principe de cooptation. La graine semée va lever lentement. La durée de gestation d’une poulinière n’est-elle pas de onze mois ? Mais quantité et qualité seront au rendez-vous. En 1834, naissent en France 68 produits de pur-sang. Ils sont 325 en 1857, année où l’on recense 800 poulinières de pur-sang dans les haras. En 1853 au Jockey Club, on se congratule à l’annonce du succès de la pouliche française Jouvence (lauréate au printemps du doublé Prix de Diane-Prix du Jockey Club) dans la Coupe de Goodwood. Succès renouvelé peu après par Baroncino (1855) et Monarque (1857).
Les courses de chevaux sous le Second Empire
A la chute de la Monarchie de Juillet qui supprimait l’aide de la famille royale, les courses avaient heureusement trouvé un nouvel appui en Louis Napoléon Bonaparte. Aucun souverain ou chef d’Etat français ne s’intéressa avec autant d’attention au cheval et aux courses que Napoléon III. La Société d’encouragement lui est redevable de deux créations, sources de son essor. Avec le soutien du duc de Momy, frère utérin de l’empereur, elle se dote en 1857 d’un hippodrome permanent à Paris : Longchamp, ce qui lui permet d’abandonner le défectueux terrain du Champ-de-Mars. Et grâce aux mêmes bons offices, elle peut créer en 1863 une course internationale, le Grand Prix de Paris dont l’allocation de 100000 F attirera de nombreux concurrents britanniques.
Ce n’est pas tout. Le Second Empire voit l’ouverture d’un autre hippodrome parisien, Vincennes (1863); la naissance en 1864 de la “Société d’encouragement pour l’amélioration du cheval français de demi-sang” ; les premières courses à Deauville (1864); l’introduction de courses militaires; l’ouverture des écoles d’équitation et de dressage (nécessaires à la formation de palefreniers et au débourrage des chevaux) ; la fondation de la Société Hippique Française, tutrice du concours hippique. Bien sûr tout cela est dû à l’essor économique que la France connaît sous le Second Empire. Mais rien de cela ne se réalisa sans l’aval de l’Empereur, éclairé par son premier écuyer, le général Fleury nommé fin 1860 directeur général des Haras. Celui-ci constatant “le nombre des hippodromes et des allocations qui ont doublé depuis six ans, […] le zèle des Sociétés constituées pour organiser les réunions, […] l’empressement du public, […] les ressources pécuniaires, […] la faveur dont jouit l’institution dans le pays”, recommande de décentraliser et de restreindre aux dispositions purement organiques la fonction du service des Haras. Ainsi se réalise une réforme capitale de l’histoire des courses, à la faveur de l’arrêté du 16 mars 1866. L’Etat délègue le pouvoir technique à trois sociétés parisiennes baptisées “sociétés mères” pour chaque discipline : la Société d’encouragement pour le plat, la Société des steeples pour l’obstacle et la Société du demi-sang pour le trot. Pour la Société d’encouragement âgée de 33 ans, c’est la reconnaissance de son action bénéfique en faveur de la sélection des reproducteurs par la course, selon le modèle anglais.
D’ailleurs, l’élève a si bien appris la leçon du maître que celui-ci s’émeut. En 1864, la pouliche française Fille de l’Air, lauréate du Prix de Diane, se rend à Epsom et y enlève les Oaks. Et l’année suivante encore à Epsom, le Derby, inviolé depuis quatre-vingt-cinq ans, revient à Gladiateur, un autre Français. Côté anglais, c’est un choc pour l’orgueil national. À Paris, on pavoise. Pour certains, Gladiateur est “le vengeur de Waterloo”. Et quand onze jours après, il confirme sa suprématie en gagnant le Grand Prix de Paris, on rapporte que Longchamp aurait accueilli près de 150000 personnes. Foule inimaginable, attirée par le cheval vedette mais aussi par la possibilité offerte sur l’hippodrome de satisfaire une envie de jeu. Dernière nouveauté, la centralisation des paris “à la poule” proposée par une agence, celle de Joseph Oiler. Les courses, connues jusqu’alors par un public d’initiés, sont découvertes par une population en quête de jeu.
Quant à Gladiateur, il révèle aux Français leurs réelles possibilités en matière d’élevage de chevaux de courses, possibilités seulement perçues par quelques pionniers hardis. Confondus les sceptiques, stimulés les hésitants par ce Gladiateur surnommé l’Eclipse moderne, qui sera statufié à Longchamp. Comme Fille de l’Air, Gladiateur a été élevé au haras de Dangu en Normandie et porte les couleurs (casaque bleue, manches et toque rouge) du comte Frédéric de Lagrange. Celui-ci est l’archétype du grand propriétaire international. Il possède la vision prémonitoire de la compétition élargie au-delà des frontières. Il en accepte sciemment le risque.
Le développement des courses de chevaux
Les sévères dégâts causés par la guerre de 1870 à l’élevage français sont rapidement compensés par la vigoureuse action de nouveaux éleveurs. Aux anciens, les Aumont (à Victot), Lagrange (à Dangu), Lupin (à Viroflay), Delamarre (à Bois Roussel) se joignent la famille Rothschild (à Meautry), le baron de Schickler (à Martinvast), Cl.-J. Lefèvre (à Chamant), Pierre Donon (à Lonray) et un peu plus tard le jeune Edmond Blanc (27 ans) d’abord à Bel Ebat (1883) puis à Jardy (1890). Ils n’hésitent pas à se procurer outre-Manche, souvent à prix élevés, des reproducteurs de qualité, principalement des poulinières auxquelles ils reconnaissent le rôle capital pour l’enracinement d’un élevage. Sans atteindre l’altitude de ceux de Gladiateur, les succès des chevaux français en Angleterre se poursuivent. Et en 1886 après 24 éditions, le palmarès du Grand Prix de Paris révèle un match nul: 12 Français victorieux et autant d’étrangers, soit 10 Anglais, 1 Hongrois et 1 Américain.
Si les courses se développent sûrement, le principal souci de leurs dirigeants réside dans les paris effrénés qu’elles suscitent. Un arrêt de la cour d’appel du 4 juin 1869 avait assimilé les “paris à la poule” aux loteries prohibées. Sans attendre l’avis de la justice, Joseph Oiler avait eu dès 1868 l’idée de proposer le “pari mutuel” en substituant au hasard le choix personnel du joueur. Les parieurs ayant désigné le cheval gagnant se partagent la masse des enjeux après déduction d’une commission réservée à l’organisateur. Celui-ci n’a aucun intérêt particulier à la victoire d’un cheval plutôt qu’à celle d’un autre, sa rémunération étant toujours la même. Une incertitude: le gain éventuel du parieur reste indéterminé jusqu’à la clôture de l’enregistrement des paris.
A la même époque apparaît sur les hippodromes le pari à cote fixe, dit “au livre”, proposé par des donneurs appelés aussi bookmakers. Le gain éventuel est fixé dès la prise de pari. Tant pis pour le parieur si la cote remonte ultérieurement, tant mieux si elle baisse. Deux inconvénients surgirent. Le premier: courir ou payer; si le cheval joué ne court pas, pour quelque raison que ce soit, le pari n’est pas remboursé, il est perdu. Le deuxième : le donneur peut avoir intérêt à ce que perde le cheval choisi par le parieur.
L’arrêt de la cour d’appel ne les visant pas ouvertement avait laissé le champ libre aux opérateurs de pari mutuel ainsi qu’aux bookmakers, non inquiétés. Mais les courses refleurissant après la guerre de 1870 et se développant avec l’ouverture d’Auteuil, le parquet s’était ému en juillet 1874 de l’activité fébrile des “agences des courses” (nom donné alors aux officines proposant des paris). Le parquet poursuivit donc les agences sous la prévention de tenue de maison de jeu de hasard. Dès lors surgirent des conflits permanents entre l’Etat et les entrepreneurs de paris, quelle que fut la forme de ceux-ci. La bataille ne cessera que lorsque l’Etat décidera de s’approprier le monopole des paris sur les courses. Pour ce faire, il choisit le pari mutuel qui est sans ambiguïté.
Ainsi fut promulguée le 2 juin 1891 la loi “réglementant l’autorisation et le fonctionnement des courses de chevaux.” En bref, cette loi interdit de parier sur les courses de chevaux, sauf et seulement sous la forme du pari mutuel et sur les hippodromes, moyennant un prélèvement de 7 % réparti entre l’État et la société organisatrice.
Le succès du pari mutuel fut immédiat. Cette loi fondamentale déclencha l’explosion des courses en France et subséquemment de l’élevage du pur-sang. Les 908 pur-sang ayant couru en 1887 sont relayés par 1 234 en 1891, 2242 en 1900 et 2607 en 1911, soit une augmentation de 187 % en un quart de siècle. La multiplication des naissances de pur-sang anglais permet ce phénomène. De 914 sujets inscrits au stud-book français en 1891, on atteint le chiffre record de 2039 en 1906, soit une croissance de 123 % en quinze ans. Pendant ce temps, outre-Manche, c’est presque la stagnation avec 2934 naissances en 1906 à la fois au Royaume-Uni et en Irlande.
Un marché aux jeunes chevaux (les yearlings), s’est créé à la fin du siècle à Deauville où se sont établis, aux portes de l’hippodrome, deux sociétés de ventes, Chéri et le Tattersall français. La demande absorbe annuellement quelque 250 sujets, même si l’offre est parfois double, la profession d’éleveur-vendeur s’étant révélée séduisante. Le marché devient rapidement international, conséquence de l’attrait exercé à la fin du XIXe siècle par Paris, principalement sur les familles américaines enrichies par l’extraordinaire développement industriel. W.-K. Vanderbilt, petit-fils du magnat des chemins de fer ouvre en 1896 un établissement d’entraînement modèle à Saint-Louis-de-Poissy et crée en 1911 près de Deauville, le haras du Quesnay. Sur le marché des yearlings, son entraîneur William Duke lui procure 4 lauréats du Prix du Jockey Club. C’est une incitation pour d’autres étrangers à installer en France leurs écuries et élevages alors que de nouvelles mesures de prohibition des paris aux courses entrent en vigueur en 1908 aux Etats-Unis.
Vanderbilt se révèle un sérieux concurrent pour Edmond Blanc devenu le porte-étendard de l’élevage français à la fin du XIXe siècle. Même si les coursiers portant ses couleurs (casaque orange, toque bleue) doivent se contenter à trois reprises de la place de deuxième dans le Derby à Epsom, Edmond Blanc se révèle le digne successeur du comte de Lagrange. Il donne à l’élevage français l’élan lui permettant de rayonner à travers le monde. Les sept victoires de ses chevaux dans le Grand Prix de Paris sont pour Edmond Blanc une référence qui lui permet d’exporter des reproducteurs dans toute l’Europe et en Amérique du Sud.
Si les courses sont dans un état rudimentaire en province, elles sont devenues une institution à Paris. Sans concurrence de spectacle sportif, elles y prospèrent, public huppé au pesage, population simple et pittoresque sur la pelouse. Deux hippodromes ont été modernisés, Maisons-Laffitte (1899), Longchamp (1904); deux autres ont été créés, à Saint-Cloud (1901) et au Tremblay (1906). À Auteuil et à Longchamp, lors des grandes réunions dominicales, les femmes font assaut d’élégance avec l’aide des couturiers naissants qui y trouvent profit. Grâce aux recettes du pari mutuel, l’allocation du Grand Prix de Paris a été portée en 1908 à 300000 F. C’est la course la plus riche du monde. Ainsi, quand le crack Sardanapale enlève le Grand Prix le 28 juin 1914, son propriétaire le baron Maurice de Rothschild empoche plus du double que le propriétaire de Durbar, lauréat du Derby d’Epsom, cheval français élevé en Normandie au haras du Gazon par un Américain, H.B. Duryea. Il fait figure de héros, son succès intervenant presque un demi- siècle après celui de Gladiateur dans l’épreuve britannique la plus convoitée. Mais le 28 juin, il se révèle nettement inférieur à Sardanapale dans le Grand Prix disputé quelques heures avant un attentat qui se produit à Sarajevo. Un mois après, se déclenche la Première Guerre mondiale.
Les courses des chevaux pendant la guerre
Deux années sans courses, (même si elles sont suivies de deux années “d’épreuves de sélection”), sans public et sans paris causent de sérieuses blessures à l’élevage du pur-sang en France alors que le turf britannique n’a pas connu d’interruption. Mais, comme après 1870, la réaction est rapide d’autant que le public se presse sur les hippodromes (record: 166635 entrées payantes à Longchamp le 27 juin 1926) et que se révèle une nouvelle clientèle de propriétaires principalement de riches étrangers qui font enregistrer des enchères fabuleuses sur le marché des yearlings à Deauville. Parmi eux des Argentins (Édouard Martinez de Hoz, Simon Guthmann, Saturnino Unzue), des Américains (Joseph Widener, Ogden Mills, R.B. Strassburger) et même des Hindous (le prince Aga Khan, Edward Esmond).
Pour marquer la renaissance des courses, la Société d’encouragement tient à offrir une vitrine à l’élevage du pur-sang français. À cet effet, elle crée en 1920 une course internationale à une période favorable pour une rencontre intergénérations, début octobre. C’est le Prix de l’Arc de Triomphe qui, au milieu du siècle, sera reconnu comme le test suprême des pur-sang.
Mais bientôt la situation se détériore. Les effets du krach boursier de 1929 portent des coups durs à l’élevage français. En 1930, le chiffre d’affaires des ventes de yearlings s’effondre de 45 % à Deauville. Les naissances de pur-sang chutent de 47 % entre 1931 et 1936. Sur les hippodromes les partants se raréfient. Pour y parer, la Société d’encouragement obtient le parrainage de certaines courses en 1933, crée les Nuits de Longchamp (1934 à 1939) et organise avec la Loterie Nationale, à partir de 1935, des sweepstakes, une sorte de loterie où l’attribution des prix dépend à la fois d’un tirage et du résultat d’une course prestigieuse.
Mais le remède le plus efficace se révèle être la création en 1931 du pari mutuel urbain, le P.M.U. En supprimant 6 mots, “sur les champs de courses exclusivement”, de la loi du 2 juin 1891, les députés permettent enfin au public de parier en dehors des hippodromes. C’est le moyen choisi pour combattre les bookmakers clandestins auxquels, depuis quarante ans, étaient obligés de confier leurs paris ceux qui ne pouvaient assister aux courses à moins de renoncer à jouer. C’est un succès immédiat même si une partie des enjeux est réalisée au détriment des paris enregistrés sur les hippodromes qui voient aussi diminuer leur clientèle attirée par de nouveaux loisirs.
Durant les années trente, les hippodromes parisiens sont le théâtre d’une concurrence sévère entre deux écuries : celle du tenant du titre depuis 1919, le baron Édouard de Rothschild, éleveur à Meautry (Calvados) et détenteur des couleurs familiales (casaque bleue, toque jaune) et celle du prétendant, le titulaire d’une casaque orange (comme Lord Seymour et Edmond Blanc mais, accompagnée d’une toque grise), Marcel Boussac qui a établi son élevage à Fresnay-le-Buffard (Orne) en 1920. Chacun des deux haras produit son meilleur rejeton: pour Meautry en 1931 : Brantôme; pour Fresnay en 1936: Pharis. C’est celui-ci qui permet enfin à Marcel Boussac de ravir au baron Édouard la première place des éleveurs et des propriétaires en 1939.
Quant au niveau de l’élevage français sur le plan international, on peut dire qu’il avoisine le britannique, comme en témoigne le succès du français Bois Roussel dans le Derby d’Epsom en 1938 même si l’élevage italien se mêle de la partie. Deux de ses ressortissants enlèvent l’Arc de Triomphe (Ortello en 1929, Crapom en 1933) et un troisième confirme son invincibilité en s’octroyant le Grand Prix de Paris en 1938. Ce réel champion a pour nom Nearco.
À l’automne 1940, Brantôme et Pharis se retrouvent en Allemagne. 664 pur-sang quittent la France pour l’Allemagne ou la Hongrie. Certains ne reviendront pas de cette déportation affectant surtout les écuries israélites. Les propriétaires étrangers s’évaporent. L’avoine réquisitionnée rend difficile l’alimentation des chevaux. Les naissances de pur-sang s’effondrent à 930 en 1942. Seul abonde le public, contraint de rester du fait des difficultés de transport. Sur les hippodromes parisiens, il ne compte plus les victoires acquises par les porteurs de la casaque orange de Marcel Boussac, débarrassé de son principal opposant dont l’écurie a été décimée par l’occupant.
Un an après la fin de la guerre, au printemps 1946, Marcel Boussac, suivant les exemples du comte de Lagrange et d’Edmond Blanc – l’avion aidant -, lance ses coursiers à l’assaut des hippodromes britanniques, entraînant dans son sillage d’autres hardis propriétaires. Leur audace est aussitôt récompensée au-delà de toute espérance. A Epsom, le Derby est conquis 3 fois: par Pearl Diver (1947), My Love (1948) et Galcador (1950). Celui-ci porte la casaque orange de Marcel Boussac qui, cette année-là, s’approprie trois des cinq classics anglais. Ainsi, dès l’automne 1946, la Société d’encouragement décide l’ouverture totale des courses françaises aux chevaux étrangers, qui depuis 1939 ne pouvaient en disputer que 60 %, après avoir vu leur participation restreinte à 20 % en 1914 puis portée à 30 % en 1920.
Le haras de Fresnay-le-Buffard est à son zénith. Un autre de ses élèves, la pouliche Coronation ne vient-elle pas en 1949 de remporter, en se jouant de ses 27 adversaires, le Prix de l’Arc de Triomphe ? Pour être à la hauteur de son ambition – réunir les meilleurs chevaux européens – la course avait vu son allocation quintupler, atteignant 25 millions de francs, grâce à ses retrouvailles avec la Loterie nationale et le sweepstake.
À défaut d’être aussi écrasants et nombreux, les succès des chevaux français vont se poursuivre outre-Manche. Test idéal, à Epsom le Derby revient à Phil Drake (1955), Lavandin (1956) et Relko (1963). Et en 1965, exactement un siècle après Gladiateur, on enregistre la dixième victoire d’un poulain né et élevé en France grâce à Sea Bird. C’est un champion. Comme le cheval du comte de Lagrange, il terrasse ses adversaires, tant à Epsom qu’à Longchamp où il enlève de 6 longueurs l’Arc de Triomphe qui jamais n’avait rassemblé une élite internationale de si haut niveau.
Les courses de chevaux aujourd’hui
Cette victoire sera la dernière dans le Derby d’un sujet né et élevé en France. L’élevage du pur-sang se modifie profondément. La situation a déjà changé. L’Amérique a comblé son retard sur l’Europe à la faveur d’importations de reproducteurs européens de haut niveau entreprises dès les années trente. Grâce à une économie florissante, les courses prospèrent outre- Atlantique alors qu’en Grande-Bretagne et en France, de grands élevages s’affaiblissent, plus ou moins obligés de se séparer de champions que se disputent les haras du Kentucky. Inversement, l’Amérique nous envoie des produits de qualité qui s’imposent sur nos hippodromes, surtout grâce à leur précocité et leur vitesse, les deux points faibles de notre élevage.
Au même moment (les années 70), l’instauration de lois sociales frappe de lourdes charges l’irremplaçable main d’œuvre des haras et écuries. Les surcoûts, insuffisamment compensés par les allocations, tronquent les rangs des propriétaires et éleveurs français qui n’ont pas le goût inné du cheval comme tout Anglais ou tout Oriental. Pour les remplacer, se présentent des étrangers (à l’abri de l’appétit de Bercy) dont beaucoup débarquent avec leurs provisions de jeunes sujets, descendants principalement d’un étalon fabuleux, Northern Dancer (1961).
L’étranger apprécie le “galop français”. Il repose sur des bases sérieuses: hippodromes sélectifs surveillés par le contrôle filmé (1959), munis de stalles de départ (1964). Ses dirigeants ont été, dans le domaine des sports, les premiers à interdire le dopage (1903). Son programme de sélection a fait ses preuves. Il valorise ses lauréats. Il n’a rien à envier au programme britannique. Il propose la plus sélective des courses européennes: le Prix de l’Arc de Triomphe. Le prestige de l’Arc et de quelques autres courses leur permet de recevoir le parrainage de grandes firmes ou marques, heureuses d’associer leur image à des compétitions prisées par un public international.
Pour le “galop français” c’est un complément de revenus non négligeable qui améliore les ressources fondamentales provenant du pari mutuel. L’impartialité de celui-ci est incontestable. Base majeure des jeux, les paris de combinaison introduits avec succès en 1954 sous la forme du tiercé, habilement relayé par un nouveau jeu lancé en 1989, le Quinté + (offrant à la fois gros lots et lots de consolation) qui a séduit une nouvelle clientèle de parieurs. Grâce à une judicieuse extension de la prise des paris (depuis 2000 devant la télévision avec décodeur, bientôt par Internet), les paris sur les courses, jeux de réflexion, font bonne figure face aux jeux de hasard que sont les jeux de tirage, de grattage et les machines à sous. Et cela en dépit des prélèvements sur les enjeux au profit de l’Etat insatiable. Prélèvements dont une partie assure la préservation ou l’existence d’autres chevaux, tels ceux de trait, de sport et de loisir.
Aujourd’hui en France, les grands propriétaires-éleveurs mainteneurs de la tradition ne sont plus qu’une poignée: les frères Wertheimer (continuateurs d’une écurie créée en 1911), le jeune Edouard de Rothschild, la famille Head (haras du Quesnay), Daniel Wildenstein champion dans les 3 disciplines (plat, obstacle et trot). Les ont rejoint depuis les années 70, la marquise de Moratalla, Jean-Luc Lagardère (à Ouilly), la famille Niarchos (à Fresnay-le Buffard). À eux d’enrayer les vagues d’assaut lancées par des Américains (sans cesse renouvelés), l’élevage irlandais de l’Aga Khan, et depuis une quinzaine d’années, par des Arabes aussi riches que passionnés dont les chefs de file sont les frères Maktoum de Dubaï et le prince saoudien Khalid Abdullah.
Les écuries et les élevages d’importance moyenne, solides bases du galop français ont disparu au lendemain de la guerre. De leurs débris ont surgi de petits artisans disposant de faibles moyens. Certains sont vaillants et détenteurs du savoir-bien faire. Ils peuvent témoigner: la qualité n’est pas l’apanage des grands élevages. Heureusement! Même avec des effectifs réduits et à moindres frais, il est possible de décrocher la timbale, comme Jean Delbart avec Carling (Prix de Diane 1995) et Georges Sandor avec Ragmar (Jockey Club 1996).
Toute petite entreprise aussi, celle lancée en 1993 près d’Autun par Jimmy Goldsmith. Certes, sa fortune est immense et il n’hésite pas à payer au prix fort les saillies. Mais c’est avec un effectif réduit à une demi’ douzaine de poulinières qu’il a fait naître, en 1996 (un an avant sa mort) Montjeu héros du Prix du Jockey Club et de l’Arc de Triomphe, meilleur pur-sang dans le monde en 1999. Bien sûr il est fils de Saddler’s Wells, le meilleur étalon européen. Mais sa mère ne possède pas un pedigree international. Il faut regarder de très près pour voir que, dépourvue de vernis, la famille maternelle (cultivée en France depuis 1921) est pourtant un roc. C’est avec une loupe que Jimmy Goldsmith avait découvert ces indices favorables dont il sut tirer le meilleur parti.
Au début du IIIe millénaire, l’élevage français du galo- peur ne doit pas craindre la mondialisation. La compétition internationale, il la vit déjà. Il est largement ouvert à la concurrence depuis un demi-siècle et possède un réel potentiel reposant sur une longue tradition. Le pur-sang de France est renommé. Il s’exporte très bien. Ce qui lui manque actuellement, ce sont des entrepreneurs, grands et petits, possédant la passion et la patience, ces qualités indispensables pour créer le bon cheval et qui permettent de faire face aux difficultés.
Quand les Britanniques ont commencé à se défier au grand galop de leurs chevaux il y a quatre siècles, ils ont lancé un sport et un jeu, mais aussi découvert le moyen d’améliorer leur indispensable outil de transport. À l’agréable, ils ont joint l’utile. À l’usage, l’améliorateur idéal s’est révélé être le pur-sang anglais, fortement imprégné, à l’origine, de sang arabe. Ce pur-sang galopeur a permis de créer ou d’améliorer de nombreuses variétés de chevaux légers tels les trotteurs, les sauteurs, les chevaux de selle et de concours qui ne peuvent être utilisés qu’après dressage.
À la différence des chevaux accommodés par l’homme pour ces différentes disciplines, le pur-sang demeure naturel. Il court aussi vite que possible sans contrainte, à l’image des chevaux sauvages galopant dans la nature. Ainsi, seule la course plate à laquelle est soumis le pur-sang est proche de la galopade du cheval sauvage. C’est bien pourquoi la sélection établie grâce aux courses plates de galop classiques est une nécessité. Ces courses ont un double rôle de conservation et d’amélioration.
De telles courses sont aujourd’hui sous la responsabilité de France Galop. Depuis 1995, à la demande de l’État, l’organisation des courses en France est assurée par deux sociétés mères France Galop pour le galop et “Le Cheval Français” pour le trot. France Galop est née de la fusion de la Société d’encouragement (société mère du plat, créée en 1833), de la Société des steeples (société mère de l’obstacle, créée en 1863) et de deux autres sociétés de courses parisiennes.
Pour en savoir plus : le sport hippique
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