Toute personne ayant pris des leçons d’équitation ou assisté à un concours peut facilement convenir qu’une grande partie des pratiquants sont en réalité des cavalières. Avec environ 80% de licenciés de sexe féminin, l’équitation est en effet un sport très populaire chez la gente féminine. En effet, une étude réalisée il y a maintenant quelques années à mis en exergue le profil type du cavalier en France : sans surprise, une jeune fille de moins de 16 ans. Interdite aux femmes jusqu’en 1930, comment la pratique du cheval s’est-elle féminisée sur le siècle dernier ? Comment expliquer cet engouement auprès de cette cible ?
La pratique du cheval par les femmes dans l‘Histoire a toujours été réglementée
Le cheval a toujours été un symbole de pouvoir dans l’Histoire. Attila disait même que le cheval, en permettant à l’Homme « d’aller plus vite et de voir plus loin, en fait un Surhomme ». Intimement attaché à la tradition militaire, représentation d’une certaine forme de domination, il est ainsi souvent resté une chasse gardée d’hommes, écartant les femmes de l’animal et de la pratique de l’équitation. La première trace de femme à cheval dans l’imaginaire provient de la Grèce Antique, avec le mythe des amazones. Plus que des pratiquantes féminines de l’équitation, leur utilisation du cheval met en avant leur émancipation du patriarcat, dans une société ou les hommes sont réduits en esclavage. Autant dire que cette image est loin d’avoir laissé des traces positives dans les sociétés d’antan qui, peu importe leur situation géographique, étaient souvent caractérisées par une domination masculine.
Une équitation féminine encadrée au Moyen Age
Le Moyen Age, pourtant souvent qualifié à tort comme une période peu progressiste et obscure, permettait dans certaines circonstances aux femmes de pouvoir utiliser un cheval mais cela, seulement dans certains cas précis. Par exemple si une femme devait poursuivre l’activité commerciale de son mari décédé et que cette dernière nécessitait la pratique du cheval, la veuve avait l’autorisation de monter à cheval. La pratique était également accessible aux femmes de hauts rangs qui souhaitaient accompagner leur mari dans certains évènements. A cette époque, il était possible dans ces rares exceptions de pouvoir monter à califourchon (c’est-à-dire en position classique, avec une jambe de chaque côté de l’animal), chose qui fut interdite par la suite. A travers la monte en amazone, les femmes sont restées dépendantes des hommes puisqu’il leur était impossible de monter ou descendre de cheval sans aide.
Des percées marginales de femmes à cheval jusqu’au siècle dernier
Entre le XIXème et le XXème siècle, certaines femmes ont su s’imposer à cheval, notamment dans le milieu du cirque où les écuyères se font de plus en plus nombreuses et parviennent à être reconnues par la société. En 1840, on compte même plus d’écuyères que d’écuyers. Caroline Loyo fut d’ailleurs la première femme à avoir présenté un cheval de haute école dans un cirque, avant elle, seuls les hommes présentaient du dressage de haute école. Grâce à ces femmes de cirque et leurs numéros de voltige et de danse, l’équitation prend une dimension féminine et gracieuse. Aux Etats-Unis, la fin du XIXème siècle est aussi marquée par la célèbre Calamity James, que l’on connait pour ses longues chevauchées à califourchon sur sa monture.
Ces artistes de cirques ou cavalières mythiques du Far-West restaient tout de même des exceptions dans les sociétés d’occident, confirmant que l’équitation restait alors une pratique réservée aux hommes. La monte à califourchon a même été interdite en France jusqu’en 1930, où la pression des mouvements féministes a permis l’autorisation de ce type de monte pour les femmes. Cette autorisation fut tout de même encadrée par l’obligation de devoir porter un pantalon pour que cette pose soit tolérée.
Le basculement des années 70
Alors toujours réservée aux aristocrates et aux officiers, l’équitation trouve peu à peu un public féminin issu de la classe moyenne. L’équitation s’est en effet démocratisée et devient accessible à une cible dont les revenus sont plus modestes. Les jeunes femmes citadines s’intéressent de plus en plus à ce sport qui cesse peu à peu de trouver son modèle dans l’équitation militaire à partir de 1970. Un phénomène, appelé le « Syndrome Poly » expliquerait pourquoi les filles se sont tout à coup mises à investir les écuries. En effet, l’apparition d’une pédagogie tournée autour du poney, moins impressionnant que son homologue cheval, aurait attiré la gente féminine : les petites filles rêvaient toutes d’avoir un poney à chouchouter. L’équitation n’est plus un sport militaire, mais un sport d’éducation et de rapprochement à la nature. Traditionnellement galants et machistes, les cavaliers ont accueilli favorablement la féminisation de leur sport, si bien qu’à la fin du siècle, l’équitation était déjà pratiquée à 75% par les femmes. La Fédération Française est alors devenue la fédération sportive olympique majeure la plus féminisée. Encore plus vrai au Royaume-Uni, où la pratique de l’équitation est devenue pour les hommes de nos sociétés un aveu de féminité.
Le paradoxe de l’équitation
L’équitation française compte aujourd’hui 700 000 licenciés dont près de 80% sont des femmes. Pourtant, on remarque sur les compétitions de haut niveau que les concurrents sont en grande majorité des hommes. Ce sport fait face à un paradoxe : comment les femmes peuvent-elles être si sous-représentées dans les compétitions de haut niveau d’un sport aussi féminisé ? L’équitation serait-elle un sport d’homme et un loisir de femme ? L’équitation est pourtant la seule discipline qui permet de faire concourir les hommes et les femmes sur les mêmes épreuves, à armes égales et ce jusqu’au niveau mondial.
Pénélope Leprevost, qui a su devenir une cavalière de Saut d’Obstacles reconnue au milieu des hommes pense que « Ça n’a rien à voir avec la compétence, les femmes sont vraiment à armes égales avec les hommes, car l’athlète de 700 kg qui saute des barres n’est pas le cavalier, mais bien le cheval. Ce qui fait la différence, c’est que la vie de cavalier de concours suppose de partir de chez soi toutes les semaines du mercredi au dimanche soir. Un rythme difficilement compatible avec une vie de femme. »
On peut également expliquer ce phénomène par le fait que si l’équitation est un sport très féminin, il est plutôt pratiqué par des filles et des fillettes que par des femmes. Beaucoup de ces jeunes filles en arrêtent la pratique en grandissant, n’allant donc pas vers une carrière en compétition.
Quelques cavalières qui ont su s’imposer au haut niveau
Penelope Leprevost
Cavalière depuis l’âge de 3 ans, Pénelope Leprévost est aujourd’hui l’idole de nombreuses filles qui pratiquent l’équitation. Elle participait à ses premiers championnats de France Poney à 6 ans, a concouru au niveau amateur et, une fois son baccalauréat obtenu, elle a décidé de devenir cavalière professionnelle. 5 ans plus tard, en 2005, elle prenait la 3ème place du Championnat de France des Cavalières avec Jaliska Solier, championnat qu’elle a remporté un an plus tard en selle sur Karatina. Penelope rejoint l’équipe de France dès 2008 et rentre dans le Top 10 mondial l’année suivante suite à l’arrivée de Mylord Carthago HN* et Topinambour dans ses écuries. En 2010, elle décroche le titre de Vice-Championne du Monde à Lexington. Depuis, elle a enchainé les CSI 5* et a remporté de nombreux Grand Prix. Elle participe à ses premiers Jeux Olympiques à Londres en 2012 et reviendra de Rio quatre ans plus tard avec un titre de Championne Olympique par équipe. Entre temps, elle devient vice-Championne du Monde par Equipe devant son public à Caen en 2014 et termine 2ème de la finale coupe du monde Las Vegas. Elle partage sa passion des chevaux avec sa fille Eden, déjà multi médaillée des championnats de France Poney et gagnante en Grand Prix chevaux.
Alexandra Ledermann
Fille de Jacqueline et Jean-Pierre Ledermann, cavaliers et éleveurs, Alexandra a eu la chance de grandir dans un club hippique. Elle est déjà à dos de shetland à l’âge d’un an et passe à cheval dès ses 4 ans. Désireuse de suivre les traces de son papa, Alexandra commence la compétition de CSO poney à 7 ans et remportera 3 titres de Championne de France Poney en 1981 (dans deux catégories) et 1982. Si elle a tout de suite voulu devenir cavalière professionnelle, ses parents lui ont imposé de passer d’abord son baccalauréat qu’elle a obtenu en conciliant scolarité, entraînements et compétitions. Alexandra a atteint le plus haut niveau rapidement et, grâce à Punition, la jument de tête de son père, elle décroche le titre de Champions d’Europe Jeunes Cavaliers par équipe à l’âge de 20 ans. Trois ans plus tard, elle remporte le mythique Grand Prix Coupe du Monde de Paris Bercy et marque son passage dans la cours des grands. Son parcours l’amène à rencontrer Rochet M, excellent mais difficile cheval, qui l’amènera à obtenir une médaille de bronze en individuel aux Jeux Olympique d’Atlanta en 1996, puis une médaille d’argent aux Jeux Equestres Mondiaux de Rome en 1999 et enfin, le titre qu’elle considère comme le plus beau, elle devient Championne d’Europe en individuel à Hickstead (GB). Alexandra Ledermann est la première femme à devenir Championne d’Europe et la dernière française à avoir obtenu une médaille olympique individuelle en saut d’obstacles. Elle a été éloignée du haut niveau faute de relève de ses chevaux de tête mais a développé de nombreux projets personnels, comme son implication dans les jeux vidéo Alexandra Ledermann, vendus à plus d’1,2 millions d’exemplaires ou le lancement de sa marque de vêtements dédiée aux cavalières en 2008.
Charlotte Dujardin
Née à Enfield, au Royaume-Uni, Charlotte est déjà à cheval à l’âge de deux ans et participe à sa première compétition à poney à 3 ans. Talentueuse, elle arrête l’école à 16 ans pour se consacrer à l’équitation. Elle remporte quatre fois la compétition « Horse of the Year » et gagne le Prix Hickstead en CSO à trois reprises. C’est son entraîneur de l’époque, Debbie Thomas, qui l’encourage à se tourner vers le dressage, conseil qui s’est avéré payant. Charlotte achète Fernandez, son premier cheval de dressage et est repérée en 2007 par Carl Hester, un cavalier de dressage britannique, qui l’embauche comme groom et lui prodigue le coaching et les conseils nécessaires à la faire progresser. Elle entame ses premiers dressages en Grand Prix en 2011. C’est chez Carl que Charlotte Dujardin repère Valegro, le cheval qui l’amènera au plus haut niveau. Leur première sortie en compétition était déjà une révélation. Avec Valegro, Charlotte est sacrée double médaillée olympique aux Jeux de Londres en 2012 : elle remporte l’or en individuel et par équipe. L’année suivante, elle décroche le titre de Championne d’Europe en Individuel et obtient la médaille de bronze par équipe. En 2014, aux Jeux Equestres Mondiaux de Caen, le couple devient Champion du Monde en Imposé ainsi qu’en Libre et décroche le titre de Vice-Champion du Monde par Equipe. Charlotte conserve son titre de Championne Olympique en Individuel aux Jeux de Rio en 2016 et y obtient une médaille d’argent par équipe. Avec Valegro, elle détient le Record du Monde de la plus haute note en reprise libre avec 94,3% qu’elle a obtenue à la FEI World Cup de Londres en 2014, après avoir battu son propre record de 2013 qui s’élevait à 93,975. Charlotte a publié son autobiographie « The girl on the dancing horse » ou elle revient sur son histoire et les moments difficiles qu’elle a vécus pour accéder au haut niveau mais aussi ceux qu’elle a vécus pendant sa carrière.
Gwendolen Fer
Originaire de la région toulousaine, Gwendolen Fer a commencé l’équitation à 5 ans pour occuper ses mercredi après-midi. Elle participe à ses premiers concours à 8 ans, en CSO et en CCE. Elle progresse rapidement ce qui lui permet de participer à ses premiers Championnats de France à l’âge de 10 ans et de remporter son premier Grand-Prix poney deux ans plus tard. Elle a la chance d’être coachée par Pascal Leroy et remporte à 15 ans sa première Coupe de France Poney et décroche le titre de Championne de France Poney et Junior l’année suivante. Elle participe aux Championnats du Monde des jeunes chevaux de 7 ans en tant que benjamine de la compétition où elle finira avec une belle 13ème place avec Leria du Ter. C’est avec la même jument qu’elle a décroché le titre de Championne de France Jeunes Cavaliers un an plus tard. A tout juste 22 ans, Gwendolen participe à ses premières compétitions 3 étoiles. Avec son tout bon Romantic Love, elle remporte en 2017 l’édition des Etoiles de Pau, une des compétitions les plus prestigieuses au monde, et rentre ainsi dans l’élite des français ayant remporté un CIC de niveau 4 étoiles. Si elle n’a pas pu participer aux deux derniers Jeux Olympiques, elle peut aujourd’hui prétendre à une sélection pour 2020. En parallèle de la compétition, elle tient aujourd’hui une écurie de propriétaire au Sud-Est de Toulouse ou elle propose une section sport études labellisée FFE. Elle a également poursuivi ses études après le baccalauréat et est notamment titulaire d’une licence de gestion et du monitorat.